Un monorail à Alger, solution miracle ou fantasme d’un autre temps ?
- anissmezoued
- 4 janv. 2023
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 15 mai 2023
Régler les problèmes de congestion automobile d’Alger est sans aucun doute l’un des enjeux les plus importants pour la capitale, mais est-ce que le monorail est pour autant la solution ? (article publié le 22 avril sur le blog Mediapart et sur l'Expression)

Régler les problèmes de congestion automobile d’Alger est sans aucun doute l’un des enjeux les plus importants pour la capitale. Si important que nous avons eu droit depuis quelques années à plusieurs effets d’annonce de solutions miracles, dont : les nombreux plans de décongestionnement discutés dans plusieurs conseils des ministres ; le partenariat public-privé avec des Espagnols pour les feux de circulation ; des propositions loufoques d’autoroute à étage ou encore de pont qui traverserait la baie d’Alger ; et bien entendu le plus récent, celui du monorail qui relierait la Safex à Sidi Abdellah, dont nous avons pu voir les images spectaculaires sur les chaînes de télévision et sur les réseaux sociaux. Peu d’informations ont filtré, mais il s’agirait vraisemblablement d’une mise à jour du projet présenté en 2014 par Cosider.
L’idée de construire un monorail n’est pas nouvelle et encore moins révolutionnaire. Elle a été proposée à Alger dès 1954 lors des premières discussions autour de la congestion de la ville et de la planification du métro. Le débat qui a fait rage sur le coût d’un métro sous-terrain et sa pertinence a amené la ville d’Alger et le département de l’Algérie française à proposer cette solution, qui ira jusqu’à la réalisation d’un tronçon mis à l’essai en 1960, mais sans suite[1].

Même si la technologie à largement évolué depuis et qu’il est opérationnel dans certains contextes particuliers tels que le Japon, avec une densité urbaine importante, ou entre terminaux d‘aéroports en circuit fermé, ou encore dans des parcs d’attractions, voir même des « villes attraction », tel que celui de Disneyland en Californie ou Las Vegas, le monorail a connu en un siècle plus d’échecs que de réussites.
De nombreuses lignes ont été démantelées à travers le monde, car trop coûteuses et non adaptées à la réalité complexe de la mobilité urbaine. C’est le cas par exemple de Séville et Turin réalisés dans le cadre d’expositions internationales puis abandonnés, ainsi que ceux de Goa en Inde et de Sydney en Australie, qui sera exploité jusqu’à 2013. Ce sont dans la majorité des cas des solutions technologiques développées ex nihilo, sur base de maquettes et de chiffres prometteurs, mais finalement inutiles, car construites en dehors de tout contexte réel[2]. Les urbanistes appellent cela un gadgetbahn[3].

Malgré les échecs, le monorail fait encore rêver et symbolise le fantasme d’une mobilité du futur. Notamment, celle de la grande vitesse et de la performance. Dans les faits, rares sont les lignes qui sont exploitées à leur pleine puissance, car plus la vitesse est élevée, plus le coût augmente de manière exponentielle.
Le monorail continue cependant de se développer, mais beaucoup plus en transport de longue distance qu'en transport urbain, qui lui, nécessite une forte adhérence [4] au territoire, c’est-à-dire une multiplication des points d’arrêt, et une finesse d’insertion dans les tissus bâtis.
Si nous prenons un peu de hauteur pour essayer de comprendre pourquoi ces solutions ont été développées au début du siècle dernier, nous ne pouvons échapper à la mise en exergue du problème fondamental qui est le système automobile. Lorsque le monorail est proposé pour la première fois en Algérie, nous sommes à l’ère du tout à la voiture. Il faut construire toujours plus de routes pour que la voiture puisse aller vite et partout, sans entrave.
Enterrer le métro ou le suspendre, permet de préserver la voirie et de laisser la place à la reine automobile. Or, nous sommes en 2023 et en presque un siècle, le savoir sur les transports et la mobilité a fait un bond considérable. Nous savons aujourd’hui que pour régler les problèmes de congestion, il faut non seulement avoir une approche systémique qui articule mobilité et urbanisme, mais il faut aussi et surtout sortir du tout à la voiture en lui sacrifiant de l’espace pour le donner à d’autres modes de transport.
Ce n’est qu’en suivant une logique multimodale complexe que nous pourrons décongestionner la ville, et non en nous focalisant sur la fluidité du trafic automobile et la multiplication de ses infrastructures. Il nous faut un report modal : pousser les habitants d’une ville à utiliser d’autres modes dans leurs déplacements quotidiens.

Mais, « le monorail permet justement ce report modal », me diriez-vous !
Peut-être ! Mais c’est là où la complexité des phénomènes urbains intervient. Le report modal répond à de nombreux critères. Il ne suffit pas de construire une ligne, aussi performante soit-elle technologiquement, pour qu’il puisse avoir lieu. Nous avons besoin d’une approche globale et systémique qui prenne en compte, entre autres, les pratiques de mobilité, les lieux d’habitats, les modes de vie, les aspirations, l’urbanisation, le confort, la gestion du temps et des coûts, l’organisation familiale, etc.[5] De plus, entre le début des travaux et leur fin, il faudra compter entre trois et cinq ans, durant lesquels les Algérois continueront à prendre la voiture et à souffrir de la congestion. Il faut donc agir maintenant.
La bonne question que devraient se poser les pouvoirs publics aujourd’hui, n’est pas si le monorail peut décongestionner la ville, mais plutôt : est-ce le bon investissement en considérant toute la complexité de l’urbain et est-ce adapté à la réalité algéroise ? Et surtout, avons-nous épuisé toutes nos cartes avant de penser à faire un tel investissement ? Il s’agit là de dépenses publiques importantes, en des temps où la rigueur et la rationalité devraient être de mise.
Dans un article précédent, je faisais un retour critique sur le plan de désengorgement de la capitale, où j’évoquais quelques pistes de réflexion qui me semblent toujours d’actualité. La plus importante et la plus difficile à faire accepter par les pouvoirs publics, mais qui fait consensus auprès des urbanistes et professionnels de la mobilité, est la nécessité de sortir de la logique automobile et des travaux publics pour aborder la question de la mobilité de manière systémique et dans une logique de transition en lien avec l’urbanisation.
Alger a besoin d’une prise en compte sérieuse de sa mobilité à l’échelle de son aire fonctionnelle, qui dépasse les limites de la wilaya pour couvrir l’ensemble de la Mitidja. Une étude sérieuse de la mobilité algéroise à cette échelle et tout en finesse est plus que nécessaire avant toute décision de projet, voire même d’étude de faisabilité pour le monorail. Le premier investissement à faire est celui d’un plan de mobilité, avec un plan d’investissements prioritaires, et qui soit complémentaire à la vision déjà développée par le plan stratégique d’Alger.
Ce dernier proposait un macro-maillage autoroutier qui devait laisser place à terme à des voies réservées au transport à haut niveau de services (HNS) peu coûteux et tout aussi performants que ce qui est proposé aujourd’hui. Des Bus à HNS en site propre peuvent décongestionner à eux seuls les grands axes autoroutiers. Ils se sont avérés efficaces dans de nombreux contextes, contrairement au monorail, et sont rapides à mettre en œuvre. Le plan stratégique proposait également de valoriser le réseau ferroviaire existant et d’en faire un véritable RER. Sidi Abdellah, par exemple, dont il est question dans le projet de monorail, dispose d’une gare, mais la fréquence des trains reste faible.

Enfin, vu que le ministère de l’Intérieur, via son ministre, est impliqué dans ces discussions, il est important de prendre du recul et de rappeler que l’Algérie a investi dans une usine de montage de tramway il y a quelques années. C’est un moteur de développement pour Annaba, mais aussi pour toutes les villes algériennes dont tout le potentiel n’a pas encore été exploité. Le tramway est sans aucun doute un mode de transport performant, le moins coûteux sur le court terme par rapport au métro et au monorail[6], dont on maîtrise aujourd’hui la technologie et l’exploitation, et qui est surtout produit localement. Densifier Alger par un réseau de tramway relève du bon sens.
Ce n’est ici qu’un aperçu des actions qui devrait être prioritaires avant de penser à un investissement aussi important, d’un autre temps. Les solutions sont parfois sous nos yeux et peut coûteuses. Cela ne nous empêche pas de rêver, mais restons sur des utopies du temps présent.
[1] Gil, M. et Pleutin, B. (2013). Alger. 1892-1962 – Les transports urbains. Éditions Sutton. [2] https://exercice.co/Chimeres-fantasmes-autour-du-monorail [3] Selon Anton Dubrau, c’est un néologisme péjoratif qui est formé par le mot anglais gadget et le mot allemand bahn qui veut dire train. [4] Voir vidéo sur l’inadhérence du tramway d’Alger : https://www.youtube.com/watch?v=D3-hU9bzqDE&embeds_widget_referrer=https%3A%2F%2Fblogs.mediapart.fr%2F&embeds_euri=https%3A%2F%2Fcdn.embedly.com%2F&embeds_origin=https%3A%2F%2Fcdn.embedly.com&source_ve_path=MjM4NTE&feature=emb_title [5] Voir à ce sujet les logiques d’action qui sous-tendent les pratiques modales : https://forumviesmobiles.org/recherches/15630/enquete-sur-les-logiques-daction-qui-sous-tendent-les-pratiques-modales [6] https://www.journaldequebec.com/2020/04/29/le-monorail-au-meme-cout-que-le-tramway
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