Comment pourrions-nous, au-delà des moyens de lutte contre les incendies qui sont certes primordiaux, nous inscrire dans une démarche préventive et de planification afin de s’adapter à ce dangereux phénomène ?
Texte co-écrit avec Khaled Amcha et publié dans le Quotidien d'Oran le 27 Août 2022 et sur le blog Mediapart
L’accentuation des feux de forêt ces dernières années semble faire partie d’un ensemble de phénomènes naturels dont l’origine est liée à un dérèglement climatique global de la planète[1]. En effet, d’après le dernier rapport du GIEC, les phénomènes extrêmes que sont les incendies, les inondations, les tempêtes, les sécheresses, les canicules, etc. auront tendance à augmenter dans les prochaines années et particulièrement autour du bassin méditerranéen. Ces anomalies provoquent déjà d’année en année, de plus en plus de pertes humaines, naturelles et matérielles qui doivent nous interpeler dès aujourd’hui sur nos modes de vie, d’occupation de l’espace et de consommation. Ils doivent nous inciter à repenser notre anthropisation[2] du territoire, à l’instar des inondations que l’Europe de l’Ouest (Belgique, Luxembourg, Allemagne, Pays-Bas) a connues en 2021, causant la mort de plus de 200 personnes et entraînant de lourds dégâts matériels, qui posent plus que jamais la question de la place de l’eau en ville et de sa gestion, de l’adaptation de l’habitat, des matériaux de construction utilisés entre autres.
Les récents incendies dans l’Est de l’Algérie et plusieurs pays du bassin méditerranéen ont ravagé des centaines de milliers d’hectares de forêts. Le bilan est particulièrement lourd en Algérie, notamment en ce qui concerne les pertes humaines. Au moins 43 décès ont été recensés et une bonne partie de ce qu’on compte parmi les principaux réservoirs de la biodiversité en méditerranée (parc d’El Kala) a été calcinée par de gigantesques feux, attisés par le vent et les chaleurs extrêmes. L’année dernière à la même période de l’année, les conséquences étaient tout aussi dramatiques : environ 90 personnes étaient décédées et 89 000 hectares[3] de faune et de flore étaient partis en fumée.
Beaucoup ont pointé du doigt le manque de moyens de lutte contre les incendies, et en particulier les fameux avions « canadair » réputés pour leur efficacité de maîtrise des feux d’envergure. Sont-ils pour autant réellement suffisants pour s’immuniser contre ces phénomènes ? La réponse est sans doute négative ! Pour preuve, des pays comme la France, l’Espagne et la Grèce, dont les flottes aériennes de sécurité civile sont dotées d’une capacité de largage instantanée qui varie entre 128 000 tonnes et 200 000 tonnes d’eau, n’ont pas pu éviter la perte de plusieurs milliers d’hectares de forêts[4]. Le système européen d’information sur les feux de forêt (EFFIS) indique que rien qu’en Europe, plus de 700 000 hectares de forêts ont déjà été détruits par les flammes depuis le 1er janvier 2022.[5]
Conséquences directes du stress hydrique ou de la négligence humaine, le feu peut avoir de multiples origines. Cependant, des études montrent que l’activité humaine est la première responsable dans la majorité des cas[6]. Comment pourrions-nous, au-delà des moyens de lutte contre les incendies qui sont certes primordiaux, nous inscrire dans une démarche préventive et de planification afin de s’adapter à ce dangereux phénomène ? D’abord, au court terme, par des mesures urgentes afin d’éviter les pertes humaines, ensuite, au moyen terme par des mesures qui viseront une gestion du territoire plus consciente des enjeux du feu et de sa propagation.
Pourquoi autant de pertes humaines en Algérie?
Les chiffres nous montrent que le nombre de décès en Algérie est particulièrement important, comparé aux autres pays [7] :
Pour 100 000 hectares brulés en Grèce, 3 personnes sont décédées.
Pour 6832 hectares en France, 2 personnes sont décédées.
Pour 100 000 hectares en Turquie, 8 personnes sont décédées.
Pour 89 000 hectares brulés en Algérie, 124 personnes sont décédées.
Nous considérons que cet écart est lié à plusieurs éléments, dont :
un taux de présence humaine assez élevé dans des zones à haut risque d’incendie, renforcé par l’urbanisation spontanée de quartiers entiers à proximité, ou d’habitat épars de plus en plus dense, encouragé par des aides publiques à la construction rurale. Le tout sans planification aucune, rendant ces territoires difficilement extinguibles même en cas d’abondance de moyens ;
une urbanisation faite d’opportunités foncières, qu’elle soit publique ou privée, qui crée des implantations humaines sans plans ni vision stratégique ou de prévention des risques ;
une diffusion des zones de loisirs, ainsi qu’un tourisme de montagne et de forêt de plus en plus importants, sans pour autant garantir la gestion nécessaire ou la sensibilisation aux bonnes pratiques (ramassage des ordures, interdiction des feux et des barbecues, etc.) ;
une mauvaise, voire une absence de gestion des espaces publics et des voiries. Tout comme les avaloires doivent être nettoyés avant les pluies, les routes se situant dans des zones à haut risque d’incendie devraient faire l’objet d’un déboisage régulier ;
sans planification, aucune norme de résistance aux feux des bâtiments ou de viabilisation des aménagements pour la lutte contre les incendies n’est appliquée. Les lois 76-04 et 19-02 relatives aux règles générales de prévention des risques d’incendie et de panique ne sont que rarement respectées. Elles gagneraient d’ailleurs à s’étendre au-delà des bâtiments pour toucher à l’aménagement ;
l’absence de mise en œuvre des recommandations de la loi 19-02 relative aux mouvements de panique et de mécanismes préventifs d’évacuation des populations qui se situent dans les zones à risque (caserne de protection civile de proximité, point de rassemblement, démarche à suivre, personnes-ressources, etc.).
Que faire?
Il est évident que la clé réside dans l’aménagement du territoire. L’occupation de ce dernier doit prévenir des risques et permettre une résilience en cas de problèmes. Si les épisodes marquants de séisme qu’ont été ceux de El Asnam (Chléf-1980) et de Boumerdès (2003), ont contribué à transformer les pratiques constructives et à marquer la législation, (avec une application certes parfois discutable), les incendies n’ont pas encore eu cet effet. Il est pourtant aujourd’hui plus que nécessaire d’agir. Quelles sont les actions entreprendre ?
Mutualiser les données disponibles auprès des différents acteurs (protection civile, gendarmerie, direction des forêts, armée, etc.) pour cartographier les zones à risque, les éléments déclencheurs, etc. Une spatialisation des données est plus que nécessaire pour que les chiffres servent à aménager l’espace et pas uniquement à budgétiser du matériel de lutte ou des indemnisations pour les victimes.
Actualiser le Schéma National d’Aménagement du Territoires (SNAT) et les Schémas régionaux (SRTA) en y incluant une identification des zones à risque (voir figure), avec une stratégie de développement territorial adaptée permettant de réduire les alés et les propagations d’incendie. Ceci est déjà relevé dans le SNAT actuel, mais nécessite plus de précision en faisant l’objet d’une vision prospective et d’une planification pour chaque risque majeur (inondations, séisme, désertification, incendies). Les outils d’aménagement du territoire et d’urbanisme devraient contenir aussi bien à l’échelle nationale que locale, des plans pour chaque phénomène extrême : plan incendie, plan désertification, plan inondation, etc. Chaque plan serait décliné en prescriptions spatiales et de gouvernance.
À l’échelle locale, inclure cette dimension dans les documents d’urbanisme actuels (PDAU, POS), ou dans la future loi sur l’urbanisme en cours d’élaboration). L’implantation du bâti et l’octroi des permis de construire doivent prendre en compte cette dimension du risque.
Veiller à ce que les actions recommandées n’aillent pas à l’encontre de la préservation du couvert végétal, de la biodiversité et de l’activité économique (agriculture, arboriculture). Déboiser massivement par exemple serait contre-productif.
Renforcer les capacités des collectivités locales dans l’appréhension de ces phénomènes, dans la gestion quotidienne et préventive, pour mettre en œuvre ses plans, ainsi que dans l’action curative.
Les incendies ne vont pas s’arrêter, au contraire, ils vont se faire plus violents d’années en années. Aucune vie humaine ne devrait être perdue en raison du manque de gestion et de préparation. Nous avons les moyens de nous en protéger, mais il faut agir maintenant et vite !
[1] Voir rapport du GIEC : https://www.un.org/fr/climatechange/reports [2] Transformation du milieu naturel par l’homme. [3] https://www.algerie-eco.com/2021/08/24/ministre-agriculture-devoile-plus-de-89-000-hectares-detruits-par-les-feux-de-forets/ [4] https://www.senat.fr/rap/r05-452/r05-4529.html [5] https://www.copernicus.eu/fr/systeme-europeen-dinformation-sur-les-feux-de-forets [6] Alexandrian, D. (2008). Les statistiques « feux de forêt » de ces trente dernières années. Forêt méditerranée, XXIX, n°4. [7] https://www.lavenir.net/actu/monde/2021/08/12/incendies-les-images-dramatiques-du-sud-de-leurope-et-du-bassin-mediterraneen-OPTC4GQ7MFBPLPLYMXMFNM574E/
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